Paris, Paris assoiffé, Paris inondé...
Ce titre aux accents gaulliens pourrait-il présager d’événements catastrophiques pour Paris et l’Île-de-France sous l’effet du changement climatique ? Les dispositifs actuels, les grands travaux en cours ou prévus sont-ils susceptibles d’en atténuer les impacts, de favoriser une adaptation efficace de la région-capitale ? Existe-t-il des solutions alternatives ?
L’été 2023 marquera la fin de trois années consécutives de sécheresse, durant lesquelles les nappes phréatiques ainsi que les niveaux des fleuves et rivières françaises ont subi une baisse dramatique. Seule la Seine et de ses affluents y ont échappé, une particularité liée à l’existence d’un réseau de grands lacs qui régule leurs niveaux (1) (2).
Cette année-là, le lac d’Orient sur la Seine, le lac du Der sur la Marne, les lacs Amance et du Temple sur l’Aube, et le lac de Pannecière sur l’Yonne joueront à nouveau leur rôle, compensant jusqu’à 70 % le niveau des cours d’eau.
Cependant, le gestionnaire du système, l’Établissement public Seine Grands Lacs, tirant les leçons des années de sécheresse, constatera que des limites sont atteintes face aux besoins croissants en eau pour l’irrigation, la navigation fluviale, la production d’énergie nucléaire et l’alimentation en eau potable de millions de Franciliens (3).
Première limite : avec l’accentuation du changement climatique, les lacs-réservoirs pourraient ne pas suffire à faire face aux étiages sévères à venir.
À la fin de l’année 2023, le climat devient plus chaotique, avec de nombreux épisodes pluvieux, parfois intenses, qui marqueront l’année olympique. Il n’en faudra pas davantage pour que la crue centennale de 1910 refasse surface dans l’actualité (4).
Une crue similaire à celle de 1910, malgré les infrastructures mises en place, aurait des impacts considérables sur les transports, l’électricité, l’eau potable et l’assainissement dans une île-de-France bien plus peuplée (5) avec coût pouvant atteindre 30 milliards d’euros selon l’OCDE. Cette inquiétude sera renforcée en octobre 2024 par les résidus de l’ouragan Kirk, qui apportera pluies et vents forts en Île-de-France, rendant ainsi inopérants les grands lacs situés en amont.
Seconde limite : le système des grands lacs ne protège pas complètement des crues en Île-de-France.
Face à cette limite, l’Établissement public entend répondre par le biais d’un projet comprenant une dizaine de « casiers de rétention », destinés à réduire les crues en pompant les eaux de la Seine. Démarré en 2023, le premier casier du projet de « La Bassée » devrait être achevé prochainement.
Critiqué pour ses coûts de construction et d’entretien élevés, ainsi que pour une efficacité potentiellement remise en question par l’évolution du changement climatique, ce projet d’endiguement suscite également des préoccupations en raison de ses conséquences désastreuses sur la biodiversité de la plaine alluviale où il est développé (6).
Une biodiversité également menacée par un autre projet, celui de la « mise à grand gabarit » de la Seine permettant la circulation de péniches de 2 500 tonnes (contre 650 tonnes actuellement). Ce projet facilitant le transport des céréales entre les régions agricoles du bassin parisien et les ports de la Seine-Maritime entraînerait une diminution de la rugosité du fleuve, une accélération de son débit et constituerait un encouragement à l’agriculture intensive grande consommatrice d’eau (7).
À ces projets d’une autre époque, nuisibles aux écosystèmes des fleuves et rivières s’opposent les partisans du fret ferroviaire pour le transport des récoltes de céréales (8) et ceux qui militent pour de pratiques agricoles et industrielles moins gourmandes en eau.
Il y a aussi ceux qui souhaitent redonner de la vie aux cours d’eau, les ralentir pour atténuer les crues, infiltrer l’eau pour lutter contre la sécheresse, partisans (9) de l’extension de zones naturelles d’expansion des crues (10) sur tout le bassin versant de la Seine.
Il y a urgence à mettre les récoltes de céréales sur les rails, à réduire les consommations d’eau, à recenser sur le bassin versant de la Seine les endroits où il est encore possible de laisser libre-cours à l’eau et à dégager les financements pour réaliser le travail de « castor » qui permettra de « mettre du côté du vivant le fleuve et ses affluents » pour nous adapter au changement climatique.
(1) https://www.seinegrandslacs.fr/
(2) https://ntvnews.fr/?Cela-pourrait-il-se-produire
(3) https://www.seinegrandslacs.fr/actualites/et-si-la-seine-etait-sec
(4) https://episeine.fr/histoire-des-crues/crue-de-janvier-1910
(5) https://usbeketrica.com/fr/article/l-ile-de-france-survivra-t-elle-a-la-prochaine-grande-crue-de-la-seine
(6) https://fne-idf.fr/communique-presse/casier-pilote-de-la-bassee-la-goutte-d-eau-qui-n-empechera-pas-le-vase-francilien
(7) Le projet entend surcreuser et élargir le lit du fleuve tout en supprimant ses méandres sur un tronçon de 30 kilomètres, entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine.
https://reporterre.net/Elargir-la-Seine-ou-la-mise-a-mort-d-une-cathedrale-du-vivant
(8) https://youtu.be/Bo3HO_v9CHc
(9) Baptiste Morizot, écrivain et maître de conférence en philosophie à l’université d’Aix-Marseille « Rendre l’eau à la terre. Alliances dans les rivières face au chaos climatique »
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-we-du-samedi-19-octobre-2024-5160560
(10) Soigner les rivières avec une méthode low-tech inspirée par les castors : https://www.youtube.com/watch?v=fyP2Pdnutr